La Cour Constitutionnelle polonaise remet en cause la suprématie du droit communautaire. La Commission envisage de geler des transferts financiers, alors que ce «Polexit juridique» pose la question de l'appartenance de la Pologne à l'UE.
Dans une Union européenne construite par le droit et animée au quotidien par des milliers de juristes, la remise en cause frontale de la suprématie du droit communautaire par la Cour constitutionnelle polonaise, jeudi soir, a provoqué un tremblement de terre. Les juges constitutionnels avaient été saisis par le Premier ministre Mateusz Morawiecki sur la question de la légitimité de l'UE à empêcher une réforme de la justice qui, selon la Cour de justice de l'UE (CJUE), entrave l'indépendance des juges. En estimant que certains articles du traité de l'UE sont «incompatibles» avec la Constitution polonaise et en appelant les institutions européennes à ne pas agir «au-delà de leurs compétences», la plus haute juridiction polonaise déstabilise l'ordre juridique de l'UE, au sommet duquel se trouvent les juges de Luxembourg.
Dès jeudi, la Commission européenne, gardienne des traités et donc de l'ordre juridique, a assuré par la voix de Didier Reynders, Commissaire à la Justice, qu'elle «utilisera tous les outils» à sa disposition pour protéger la primauté du droit européen. Vendredi, la présidente de l'exécutif communautaire, Ursula von der Leyen, a assuré qu'elle veillerait à ce que «les droits des citoyens polonais soient protégés et qu'ils profitent des bénéfices garantis par leur appartenance à l'UE».
Il est hautement probable que la Commission démarre une procédure d'infraction contre la Pologne, puisqu'elle en avait intenté une contre l'Allemagne après un arrêt polémique des juges allemands de Karlsruhe en mai 2020, qui avait utilisé un vocabulaire inhabituellement agressif à l'égard de la CJUE. «Mais on ne peut pas comparer les deux textes, relève Thu Nguyen, experte de l'Institut Jacques Delors. Les juges allemands ne se prononçaient que sur la vigilance des juges européens sur la politique monétaire de la BCE».
Les juristes de la Commission sont en train de tout analyser au trébuchet. Le gouvernement polonais pourrait choisir d'ignorer la décision de jeudi, en ne la publiant pas au «Journal officiel». Des doutes planent aussi sur la légalité de la nomination de certains juges de la Cour Constitutionnelle polonaise, à laquelle plus personne en Europe n'accorde de crédibilité. Accessoirement, à la Commission, on relit désormais différemment la décision surprise de la banque de Pologne, mercredi, de relever ses taux directeurs. On y voit la volonté de ménager les marchés avant la déclaration incendiaire de la Cour constitutionnelle.
Au Parlement européen, l'indignation est palpable. «La Commission a laissé la situation dégénérer et c'est allé trop loin», a déclaré Iratxe Garcia Pérez, cheffe du groupe S&D (sociaux-démocrates). Les présidents des commissions du contrôle budgétaire, des affaires juridiques et des libertés civiles ont appelé en commun à activer le nouveau mécanisme de conditionnalité qui protège les fonds communautaires des gouvernements violant l'Etat de droit.
Sanctions financières
Dès le mois dernier, Paolo Gentiloni, le Commissaire aux Affaires économiques, avait laissé entendre que le litige juridique avec la Pologne pourrait avoir des «conséquences» sur le versement des fonds de relance à la Pologne. L'UE n'a toujours pas validé les 23 milliards d'euros de subventions et les 34 milliards d'euros de prêts à taux préférentiels prévus pour la Pologne dans le plan européen adopté en 2020 .
Clément Beaune, secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, mobilisé de longue date contre les atteintes à l'Etat de droit en Pologne, a déclaré vendredi matin que «s'il n'y a pas le respect élémentaire des règles communes des droits et libertés en Europe, il ne peut pas y avoir de plan de relance et de soutien à la relance en Pologne». Plus fondamentalement, il a estimé que «quand on dit qu'on ne respecte pas la primauté du droit de l'UE, on tue l'Europe».
«Polexit» juridique
Car plus que l'avenir des fonds européens à la Pologne, cette provocation déjà qualifiée de «Polexit juridique», d'une rare violence, pose la question de l'appartenance de la Pologne à l'UE, cinq ans après la décision des Britanniques de quitter l'Union. Selon le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, vétéran de l'Europe respecté, «le gouvernement polonais joue avec le feu».
Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a assuré vendredi que son pays souhaitait rester dans l'UE. «La place de la Pologne est et sera dans la famille européenne des nations», a-t-il déclaré sur Facebook, ajoutant que l'adhésion à l'Union était «l'un des points forts des dernières décennies». C'est un euphémisme.
Population europhile
La Pologne, qui a rejoint l'UE en 2004 avec neuf autres pays de l'ancien bloc communiste, est de loin le plus peuplé de ce groupe avec 38 millions d'habitants. Elle a bénéficié de milliards d'euros de transferts, notamment au titre de la politique régionale et de la politique agricole. Quelque 80 % de la population soutient l'appartenance à l'Union, selon les derniers sondages. Donald Tusk, actuel chef de l'opposition centriste et ancien président du Conseil européen, a appelé à un rassemblement, ce dimanche à Varsovie, pour «défendre une Pologne européenne».Ridha zaibi
Personnes touchées