Il n’y a plus de doute sur les effets du changement climatique sur les apports d’eau et l’intensification des périodes extrêmes. La sècheresse et les inondations sont appelées à s’intensifier et pour y faire faire face, ayant mené depuis plus de 10 ans des recherches dans l’objectif de valoriser les eaux issues des inondations dans les bassins versants à pluviométrie excédentaire, un projet de solution a été présenté le vendredi 8 Février 2019 devant une vingtaine de hauts cadres du Ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche qui ont salué l’initiative et ont convenu de poursuivre l’étude de cette alternative ensemble afin de contribuer à l’élaboration de l’étude « Eau 2050 ».
De quoi s’agit-il au juste ?
La Tunisie étant en situation de pénurie d’eau absolue avec une dotation de moins de 500 m3/hab/an depuis environ 30 ans, devra dans le futur faire face également aux impacts du changement climatique de nature à accentuer les périodes extrêmes (sècheresses et inondations), réduira les précipitations et surtout augmentera les besoins en eau des différents secteurs socio-économiques.
Cette vulnérabilité des ressources en eau en terme de quantité masque encore l’aspect qualité puisque seulement 70% du potentiel en eau de surface ont une salinité inférieure à 1,5 g/L (82% des eaux du nord, 48% des eaux du centre et 3% des eaux du sud) et que seulement 3,84 % des ressources en eau souterraines
ont des niveaux de salinité s’environ 1,5 g/L. Cette vulnérabilité résulte des impacts cumulés du changement climatique sur les ressources et leurs usages conduit au besoin d’une adaptation au changement climatique afin de sécuriser non seulement les ressources en eau mais également leurs usages et tout particulièrement l’agriculture fortement tributaire de l’eau.
En effet, le potentiel en eau actuel est extrêmement fragile puisque 80% est alloué à l’agriculture et donc ne permettra pas à lui seul de sécuriser l’alimentation en eau des différents secteurs ce qui est de nature à creuser davantage le déficit de la balance agro-alimentaire par le recours de l’importation de l’eau virtuelle. Le dessalement d’eau de mer pour les besoins de l’eau potable est de loin la solution optimale surtout face à la perte de la capacité de stockage des barrages qui est évaluée à environ 24 Millions de m3 par an.
Le changement climatique apporte des contraintes mais offre également des opportunités par l’intensification des périodes pluvieuses qu’il conviendra de valoriser et augmenter de façon considérable le potentiel en eau renouvelable, réduire les risques des inondations et créer des réserves stratégiques pour faire face aux périodes extrêmes sèches.Pourquoi le barrage Sidi El Barrak ?
Le barrage de Sidi El Barrak de capacité 270 Mm3 est situé à côté de Tabarka à Chat Ezouaraa juste en amont immédiat de la mer. Ce barrage est connecté au barrage Sejnene, ce qui nécessite de pomper l'eau à une cote d'environ 142 m et donc un coût énergétique extrêmement élevé. En 2017, 179 Millions de m3 ont été pompés pour une facture énergétique de 15,5 Millions d Dinars soit 117 Millimes/m3 alors que l’eau est vendue à 60 millimes/m3 en moyenne.
C'est ce qui explique en partie que depuis sa mise en eau le barrage a toujours été plein, ce qui veut dire que, tous les ans et cela depuis plus de 15 ans, on a rejeté en mer plus que 3500 Millions de m3 ce qui représente un véritable trésor. En effet, depuis 2002, les volumes d'eau rejetés en mer s’ils ont été valorisés en agriculture à raison de 0,6$/m3, auraient produits l’équivalent de 2100 M$ ce qui aurait pu couvrir le budget de l’axe eau du Ministère de l’agriculture sur 20 ans.
Une rivière sous-marine reliant le Nord au Centre et au Sud
Donc, pourquoi ne pas transférer les eaux excédentaires du barrage Sidi El Barrak et des six autres barrages : Zarga (24 Millions de m3), Zayatine (33 Millions de m3), Gamgoum (18 Millions de m3) El Kbir (64 Millions de m3), El Moula (26 Millions de m3), et El Harka (30 Mm3) vers d'autres lieux d'utilisation, bien entendu de préférence sur la côte, ce qui allégera la pression sur l’infrastructure de transfert terrestre et permettra plutôt une alimentation des villes intérieures du pays surtout que le canal Medjerda - Cap Bon est depuis plus de cinq années en état de saturation. Aussi les conduites entre Sejnene et le Canal Medjerda Cap Bon ne peuvent véhiculer qu’un maximum de 240 Millions de m3 par an en pompage continue. Bien entendu, des nouveaux lieux de stockage pourront être prévus à l'aval. Il est même envisageable de recharger les nappes côtières qui sont surexploitées et où les pertes annuelles dues à la salinisation et à l’impact de l’élévation accélérée du niveau de la mer due au changement climatique ont été évaluées à environ 152 Millions de m3 par an. De le même manière qu’il est recommandé aux citoyens de construire des citernes d’eau pluviales ou « Mejel », le transfert d’eau excédentaire par la mer pourra créer aussi des réserves souterraines gigantesques !!!
Une étude de préfaisabilité encourageante
Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus et en se basant sur la technique "Submariver" de Via Marina, et avec l’expertise de Via Marina (www.via-marina.com), une étude de préfaisabilité a été menée pour transférer 10 m3/s de côte à côte sur une distance de 200 km pour un cout complet de 0,26 €/m3et une consommation d’énergie de 0,2 kWh/m3 soit 20 fois moins que le dessalement d’eau de mer. Le transfert des eaux usées épurées du Grand Tunis a également été étudié.
Il est également envisageable de récupérer et transférer vers d’autres lieux les eaux excédentaires transitant par le barrage Sidi Salem et/ou d’autres barrages dont l’exutoire des oueds sont situés sur la côte.
Il est clair que seule une étude de faisabilité permettra de donner plus de crédibilité à cette alternative de transfert. Cela non seulement permettra de valoriser les eaux de très bonne qualité qui sont perdues en mer mais aussi de sécuriser l’alimentation en eau aussi bien de l’agriculture que des zones littorales qui contribuent à environ 80% du PIB.
Quelles opportunités ?
Un système de transfert d'eau de côte à côte sur de longues distances et en grandes quantités avec un coût énergétique très faible dénommé "Submariver" développé par la société Via Marina représente une solution innovante et une alternative à saisir ce qui permettra non seulement de valoriser les eaux excédentaires de très haute qualité (seulement 0,5 g/l de salinité) mais surtout de repousser l’échéance du recours massif au dessalement (pour Djerba avec une capacité de 50000 m3/jour , la SONEDE parle d’un coût à la production d’environ 3 Dinars le m3) surtout que les trois stations de dessalement d’eau de mer prévues produiraient environ 80 Millions de m3 par an ce qui correspond au taux de 30% d’eau excédentaire enregistrée au niveau du barrage Sidi El Barrak. Ce transfert d’eau par la mer permet selon Dr Gafrej d’éviter l’aspect foncier lié à l’expropriation, protège le transfert d’éventuels picages illicites et surtout permet le transfert de grandes quantités d’eau dans les deux sens.
Ce projet prometteur a toutes les chances de voir le jour. Ce n’est pas un rêve et ce n’est pas de la magie, mais de la technologie et du génie de l’homme. Nous n’inventons rien, il ne s’agit que d’une version moderne des aqueducs construits il y a plus de 2000 ans par les romains.
Dr Raoudha Gafrej